Super 8 Stories. Emir Kusturica.

Publié le par Peggy Saule

Super 8 Stories

 

  

Année : 2001

Titre original : Super 8 Priče 

Durée : 90mn

Langue : serbe et anglais

Musique : No Smoking Orchestra

Directeur de la photo : Michel Amathieu

Récompenses : Plaque d’Argent du meilleur documentaire au festival de Chicago (2001).

 

 

 

Synopsis :

 

Super 8 Stories est tout à fait à part dans la filmographie du cinéaste car il s’agit de rendre hommage à son groupe de musique, le No Smoking Orchestra, groupe dans lequel Emir Kusturica joue en tant que guitariste et qui compose les musiques de ses films depuis 1998. Difficile de définir le genre de Super 8 Stories, autrement qu’en disant qu’il se situe entre le documentaire, le film amateur qui consiste seulement en la saisie d’instants de vie, et le film musical. Le film diffère des autres en ce sens qu’il ne consiste pas en un récit fictionnel traditionnel, il n’y a pas de structure narrative avec un début, un milieu et une fin. Il se compose d’extraits de concert, de la préparation en coulisses avant les concerts et du relâchement du groupe après les concerts, d’une séance de photographie pour chacun des musiciens, des petits moments de la vie quotidienne du groupe, de petits films familiaux relatant quelques souvenirs d’enfance, du clip de la chanson Unza Unza, de l’interview des musiciens dans le bus qui les véhiculent pendant la tournée. Cet ensemble, à première vue disparate, suit néanmoins une certaine continuité formelle : celle de la présentation des musiciens les uns après les autres. Mais il revêt aussi tous les ingrédients d’une véritable recherche esthétique : alternance du noir et blanc et de la couleur, modification du grain de l’image, composition plastique originale. On reconnaîtra, d’ailleurs, la griffe du cinéaste dans le clip de la chanson Unza Unza[1]. Le montage alterne pour chaque musicien entre une interview, leur prestation scénique, quelques anecdotes personnelles et, comme une conclusion au personnage, leur photomontage en tant qu’homme instrument.

 

Personnages (dans leurs propres rôles…) :

 

Stribor Kusturica                     Batterie

Zoran Marjanović Čeda           Percussion

Goran Markovski Glava          Basse

Nenad Gajin Coce                   Guitare

Emir Kusturica                         Guitare

Dražen Janković                      Clavier

Aleksandar Balaban                 Tuba

Nenad Petrović                       Saxophone

Zoran  Milošević                      Accordéon

Dejan Sparavalo                      Violon

Dr Nelle Karajlić                     Chant

 

Analyse de la séance photo :

 

Le film Super 8 Stories dans sa globalité, et en particulier au travers de la série de clichés de chaque musicien, émet l’idée que les corps des musiciens – dont la vocation est bien celle de jouer de la musique – appartiennent à la musique, au point de ne faire qu’un avec son instrument.   

Totalement dénudés, les musiciens ne sont vêtus que par leurs instruments de musique. Dr Nelle Karajić laisse découvrir son corps tandis qu’il ne conserve que son chapeau, accessoire devenu indispensable à son rôle de chanteur et que seul son microphone dissimule habillement les parties intimes de son anatomie.

En gardant ses accessoires scéniques, Nelle Karajić n’hésita pas à mettre son âme à nu. Car en fait, la véritable essence du chanteur est bien de chanter. Nelle  Karajić est photographié dans la seule action qui semble être en totale adéquation avec son être : en train de chanter. C’est comme si son être tout entier se résumait en cette seule photographie, comme si son âme se manifestait sur papier glacé. Car il semble bien ici que la seule chose qui puisse définir les musiciens en tant qu’humains c’est d’être unis à jamais à l’instrument qui leur colle à la peau. Le corps de l’artiste est entièrement dévoué à son instrument. Il devient instrument, il devient le corps de l’instrument.

Mais petit à petit, c’est l’instrument qui prend le dessus. Le musicien n’est plus seulement habité par la musique, il devient son prisonnier. Zoran Marjanović Čeda ne joue pas de l’harmonica : il est bâillonné avec l’harmonica. L’harmonica a perdu sa fonction première d’ expression musicale pour devenir un bâillon. De même, retenu par de larges bras autour de son ventre, il semble prisonnier de son image. Quant à Zoran Milošević, il devient l’homme-accordéon. L’instrument a été séparé en trois morceaux afin qu’il puisse enfiler un bras dans le soufflet tandis que l’autre bras est caché par le clavier main droite, et que le clavier main gauche est suspendu en bandoulière. Même si ce montage est comme un clin d’œil amusé au personnage de l’homme-orchestre que l’on rencontre dans les cirques et les foires populaires, le musicien est ici ficelé, emmêlé à son propre instrument, parfaitement incapable de résister à l’assaut des mains intrusives et autonomes autour de lui qui semblent envahir son espace.

Un renversement a eu lieu. L’artiste était compositeur, créateur, acteur de la frénésie que transmet la musique dans le cœur et le corps des hommes. Peu à peu, la musique est devenue dominatrice, et l’homme instrumentalisé. Totalement dévoué à la Musique, le musicien ne lutte pas et se laisse guider par elle. Le musicien n’est plus qu’une marionnette qui exécute les accords célestes. Il ne s’agit pas de retirer quelque mérite que ce soit aux musiciens, mais bien plus de rendre hommage à leur aptitude à laisser la musique les habiter corps et âme. Les musiciens sont comme les médiums entre les hommes et la toute puissance de l’Harmonie. De la volonté de faire l’éloge de ses compagnons de route, Kusturica fait du film Super 8 Stories une véritable apologie de la musique.



[1] Cf article La musique dionysienne d’Emir Kusturica.

Publié dans Kusturica

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