Underground. Emir Kusturica.

Publié le par Peggy Saule

Underground (il était une fois un pays)

 

 

Année : 1995

Titre original : Podzemlje (Bila jednom jedna zemlja)

Durée : 195mn (version présentée à Cannes), 165mn (version cinéma)

Langue : serbe

Scénario : Dušan Kovačević et Emir Kusturica

Musique : Goran Bregović

Directeur de la photo : Vilko Filać

Récompenses : Palme d’Or au festival de Cannes (1995) ; meilleur film en langue étrangère à la Boston Society of Film Critics (1997) ; meilleur réalisateur étranger au Kinema Junpo (Japon, 1997).

 

Synopsis :

 

A Belgrade en 1941, Marko, cadre du Parti Communiste, fait entrer son ami Blacky au Parti. Mais bientôt la guerre éclate et les deux compères se lancent dans la résistance et ses fructueux trafics. Parallèlement, ils tombent amoureux de la même femme : Natalja, une jeune actrice protégée par un officier nazi. Au plus fort du conflit, Marko aide ses amis à se cacher dans la cave de sa maison familiale. Sur les conseils de Marko, Blacky va lui aussi se réfugier dans la cave. Mais au sortir de la guerre en 1945, Marko profite de la situation et cache la fin de la guerre aux habitants de la cave. Marko peut ainsi profiter de Natalja pour lui seul et continuer d’exploiter ces fabricants d’armes clandestins. Mais lorsque les esclaves sortent de la cave, ils découvrent la supercherie…

 

Personnages principaux :

 

Marko (Miki Manojlović) : Ami de Blacky. Tombe amoureux de Nataljia, la maîtresse de son ami, à laquelle il ne pourra jamais donner d’enfants. Il éloigne son ami devenu rival en l’enfermant dans la cave. Cadre du parti communiste et assoiffé de pouvoir, il brille avec Nataljia aux côtés des dirigeants communistes de l’époque.

Peter Popara dit Blacky (Lazar Ristovski) : Mari de Véra et père de Jovan. S’engage dans la lutte révolutionnaire aux côtés de son ami Marko. Très amoureux de Nataljia qu’il croit prisonnière de l’ennemi pendant qu’il est enfermé dans la cave.

Natalija (Mirjana Joković) : Jeune actrice qui a soif de célébrité. Entretient une relation avec Franz, un militaire nazi, lequel protège son frère handicapé et ne cesse de la flatter en lui offrant une vie mondaine. Mais son cœur est en fait partagé entre son amour pour Blacky et son amour pour Marko. Elle se laisse manipuler par Marko et participe au mensonge.

Ivan (Slavko Štimac) : Frère de Marko, bègue. Gardien du zoo. Il recueille Soni le bébé singe rescapé du zoo détruit. Au sortir de la cave, Ivan assassine son frère lorsqu’il découvre la supercherie que son frère a orchestrée.

Franz (Ernest Stötzner) : Soldat allemand. Amoureux transi de Natalija qui ne voit pas que la jeune femme se sert de sa position pour protéger son frère et profiter d’une vie facile. Il sera tué par Blacky.

Jovan (Srdjan Todorović) : Fils de Vera et Blacky. Né dans la cave et passe toute son enfance et adolescence enfermé. Il se marie dans la cave avec Jelena. Lorsqu’il découvre pour la première fois le monde extérieur à dix-huit ans et il découvre le soleil, la lune, la mer, les oiseaux. Blacky veut apprendre à son fils à nager, mais pendant un instant d’inattention de son père, Joven se noie.   

Vera (Mirjana Karanović) : Femme de Blacky, enceinte au début du film. Elle décède à son entrée dans la cave en mettant au monde Jovan, et en insultant son mari frivole.

Jelena (Milena Pavlović) : Jeune épouse de Joven. Timide et émotive. Lors de la sortie fracassante de la cave, elle semble comprendre la brièveté de son mariage et se laisse glisser sur le bord du puits, son bouquet de mariée à la main, et se noie.

Bata (Davor Dujmović) : Frère handicapé de Nataljia. S’amuse des facéties de Blacky et Marko. Joue sans cesse avec une montre de gousset qu’il balance de droite à gauche en imitant le bruit de l’instrument « Tic-tac, tic-tac ».

Dernier film interprété par Davor Dujmović (Perhan dans Le temps des gitans) avant le suicide du jeune acteur.

 

Analyse de la séquence de la représentation théâtrale de Nataljia :

 

Il me paraît tout à fait indispensable de porter attention sur cette séquence particulière du film, car elle est la mise en lumière d’un autre aspect essentiel du corps : le corps vocal.

Cette séquence est l’occasion de montrer la popularité de la jeune actrice auprès du public allemand. Mais cette ferveur est de courte durée puisque, sur scène, Blacky vient kidnapper Nataljia et tuer Franz, l’officier allemand amoureux transi de la jeune femme. Or, avant que Blacky ne fasse irruption sur la scène du théâtre, c’est à un jeu théâtral tout à fait particulier auquel se livrent Nataljia et son partenaire comédien.

Nataljia est vêtue d’une robe beige et or très sophistiquée. Son costume, sa coiffure et son maquillage (blancheur de peau, mouche sur la joue) font référence à l’aristocratie du XVIIIème siècle. L’ornementation du théâtre est précieuse et raffinée, la salle est majestueuse : nous sommes dans un théâtre à l’italienne. Pendant que Kusturica met en place un décor duquel se dégagent le raffinement et l’élégance classique, sur scène, le jeu des comédiens est foncièrement différent.

La pièce de théâtre se joue en allemand. De manière générale, le système phonique allemand s’appuie sur des consonnes, ce qui donne l’effet d’une langue hachée et dure. Or, ici, les deux comédiens récitent leur texte selon un phrasé musical. Bien plus, Nataljia entrecoupe son texte de déclamations oratoires emphatiques qui semblent remplacer des phrases entières. Nataljia ne s’exprime pas avec des mots, mais selon des variations d’intonation, de hauteur et d’intensité d’exclamations censées exprimer l’indignation, la colère ou la tristesse de son personnage. C’est d’ailleurs au moment où elle se lance dans une interjection quasi dodécaphonique qu’elle est ovationnée par le public et que Blacky commente la prestation de sa bien aimée à Marko en disant : « Elle subjugue ! ». Pour les spectateurs de la pièce de théâtre, le talent de la comédienne ne semble pas résider dans le dire ni dans la diction, mais dans une sorte d’emphase oratoire, un lyrisme vocal pourrait-on dire.

Les gesticulations de Nataljia rappellent le pantomime du cinéma muet, ce qui ici, dans le contexte théâtral, paraît pour le moins exagéré voire ridicule. Je ne peux croire à la sincérité de l’indignation de la comédienne lorsqu’elle pose sa main sur son front et lève les yeux au ciel, ni même à sa colère lorsqu’elle s’approche effrontément de son partenaire vissant ses deux poings sur ses hanches. Mais pendant que le corps nous ment, la voix, elle, résonne d’authenticité. Les tressaillements de sa voix, ses grondements et virevoltes vocales expriment beaucoup mieux sa colère – colère réelle cette fois, colère qui n’a plus rien à voir avec la fiction du récit théâtral mais qui survient lorsqu’elle aperçoit Blacky caché dans la fosse du souffleur. Les dissonances de sa voix sont autant de sautes d’humeurs qui dévoilent l’inconstance de son être.

Les vibrations vocales soumettent l’homme à davantage de transparence. Chemin faisant, le corps prend de la voix ; il résonne, glousse, s’exclame, grogne, tousse, etc… Le corps devient vocal, et il ne devient plus que cela. La voix, si propre à chaque individu, si primitive et si inconstante, n’est-elle pas l’expression d’une saturation d’être ?

Publié dans Kusturica

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